COVID-19

Pourquoi le bilan est-il si lourd en Italie ?

Avec un record de 627 morts hier, la barre des 4000 décès a été dépassée

La pandémie de coronavirus a tué 627 personnes en Italie ces dernières 24 heures, établissant un sombre nouveau record. Le bilan total a ainsi franchi le cap des 4000 morts dans la péninsule, pays le plus touché au monde, a annoncé la protection civile vendredi.

Dans le pays, ce sont près de 6000 cas supplémentaires qui ont été détectés, là encore un nombre jamais atteint jusqu’à présent.

Avec 4032 morts désormais recensés, l’Italie a plus de 66 morts par million d’habitants, une proportion qui passe à plus de 250 pour la Lombardie, poumon économique du pays. Deuxième pays le plus touché en proportion de sa population, l’Espagne est derrière, avec plus de 21 morts par million d’habitants.

Jour après jour, les bilans augmentent inexorablement. Et les appels se multiplient pour renforcer les mesures de confinement imposées aux 60 millions d’Italiens depuis le 9 mars.

« Le nombre de personnes contaminées ces jours-ci ne représente de toute évidence que la pointe de l’iceberg. Nous affrontons une épidémie virale qui, par chance et dans la majorité des cas, est sans symptômes ou avec peu de symptômes », a déclaré Matteo Bassetti, chef de la clinique des maladies infectieuses de l’établissement San Martino de Gênes (nord-ouest), cité par l’agence AGI.

« Il y a tellement de personnes qui se promènent et qui ont le virus et risquent de contaminer les autres », a-t-il ajouté.

Ce sont désormais 200 000 contrôles qui sont effectués chaque jour, dont 9500 ont donné lieu à des constats d’infraction jeudi. Des communes recourent désormais à des drones pour repérer les promeneurs ou détecter d’éventuels regroupements.

Après des appels en ce sens d’élus locaux, en Lombardie, mais aussi à Rome, le gouvernement envisage un recours à l’armée pour faire appliquer les mesures de restriction aux déplacements. Quelque 13 000 soldats viendraient ainsi s’ajouter aux 7000 déjà présents dans les rues. Les médias évoquent l’éventualité d’un nouveau décret en milieu de semaine prochaine.

« Dans les prochaines 24 à 48 heures, de nouvelles restrictions sont possibles », a annoncé vendredi le ministre aux Affaires régionales Francesco Boccia, évoquant, entre autres, la possibilité de suspendre les activités en plein air.

Même le jogging sera interdit

« Courir dans la rue est un moyen d’échapper à ses devoirs civiques et représente un risque ultérieur. Non au petit jogging, même en solitaire : c’est un moyen de s’exposer soi-même ainsi que la société à la contagion », a déclaré Maurizio Casasco, président des Fédérations européenne et italienne des médecins sportifs, au quotidien Corriere della Sera.

Ces activités de plein air restent pour l’heure autorisées, à condition de rester à l’écart des autres, de les pratiquer seul et à proximité du domicile.

Stefano Bonaccini, le gouverneur de l’Émilie-Romagne, qui, avec plus de 5200 cas, dont 531 morts, est la région la plus touchée d’Italie après la Lombardie, a interdit la majeure partie des activités en plein air jeudi.

« Si quelqu’un vient m’expliquer qu’il ne peut pas renoncer au jogging, je l’emmène avec moi faire un tour à l’hôpital. »

— Stefano Bonaccini, le gouverneur de l’Émilie-Romagne, dans un message publié sur Facebook

Une population âgée

Le triste record mondial de morts liées au coronavirus détenu par l’Italie est lié à une foule de facteurs, selon les scientifiques : moyenne d’âge élevée du pays, organisation sanitaire, mode de comptage des personnes contaminées et mortes.

Le coronavirus, dont la forme la plus grave concerne les personnes âgées ou atteintes d’autres pathologies, tue donc logiquement plus de malades en Italie, pays le plus âgé au monde après le Japon.

Le taux de létalité du coronavirus (nombre de patients morts par rapport au total de personnes infectées, selon les chiffres officiels) s’établit à 8,6 % en Italie.

« On constate une mortalité considérablement plus élevée dans les pays ayant des populations plus âgées par rapport aux pays plus jeunes. »

— Jennifer Downd, démographe et professeure de santé publique

Dans ses travaux publiés mercredi sur le site du Forum économique mondial, la chercheuse de l’Université d’Oxford relève une « puissante interaction entre démographie et mortalité pour la COVID-19 ».

Elle avance que les mesures de distanciation sociale visant à ralentir la transmission du virus devraient tenir compte « à la fois de la composition de la population par âge, des contextes locaux et nationaux ainsi que des liens sociaux entre les générations ».

Pour lutter contre la pandémie, elle suggère donc de s’assurer « que le virus n’entre pas en contact avec les personnes âgées, pour lesquelles il peut assez facilement s’avérer mortel ».

Or, en Italie, la « famille élargie est l’un des piliers de la société où les grands-parents vont chercher leurs petits-enfants à l’école, les gardent, font peut-être les courses de leurs enfants de 30 à 40 ans, s’exposant dangereusement à la contagion », analyse-t-elle.

Touchée avant les autres

Variable sans réel fondement scientifique, le fait que l’Italie ait été frappée très tôt par la pandémie (juste après la Chine) est toutefois pris en compte par les experts.

« Quand on me demande pourquoi l’Italie, je réponds qu’il n’y a pas de raison particulière », a déclaré le professeur Yascha Mounk de l’université Johns Hopkins en entrevue à la CBC.

« La seule différence est que la contagion y est arrivée une dizaine de jours plus tôt qu’en Allemagne, aux États-Unis, au Canada, et si ces pays ne réagissent pas rapidement et de manière décisive, ils deviendront ce que l’Italie est aujourd’hui. »

— Yascha Mounk de l’université Johns Hopkins en entrevue à la CBC

Certains experts considèrent aussi que le pays a été pris « par surprise », sans avoir le temps de se préparer, contrairement à ses voisins. Les services hospitaliers se sont donc vite retrouvés saturés et les médecins ont dû se mettre à choisir qui soigner, comme en ont témoigné dans les médias beaucoup d’entre eux en Lombardie.

Pression sur le système sanitaire

Les spécialistes ne cessent de le répéter : la hausse rapide de la létalité de la COVID-19 constatée en Italie, particulièrement en Lombardie, foyer de la pandémie dans la péninsule, est la conséquence du nombre sans précédent de malades ayant simultanément besoin de prise en charge en soins intensifs, qui plus est pour une durée moyenne de plusieurs semaines.

Dans des conditions aussi critiques, la priorité est donnée aux patients qui ont une plus grande chance de survie, ce qui signifie que la qualité des soins décroît, alors même que le système sanitaire lombard est jugé performant.

Mode de comptage différent

Selon des experts, le taux de létalité en Italie s’explique aussi par la politique de dépistage qui, selon le gouvernement, doit être réalisé « seulement sur les personnes symptomatiques ». Un choix qui exclut des statistiques les personnes potentiellement positives, mais présentant peu ou pas de symptômes.

Tel n’est pas le cas des pays qui, comme l’Allemagne ou la Corée du Sud, ont opté pour un dépistage large qui a permis de détecter de nombreuses personnes infectées, alors qu’elles ne présentaient presque aucun symptôme. De ce fait, le taux de mortalité a chuté à mesure que le nombre de cas bénins était comptabilisé.

Par ailleurs, l’Italie a fait le choix d’intégrer dans le nombre total de morts aussi bien les patients morts de la COVID-19 que ceux, positifs au coronavirus, mais morts d’une autre pathologie, politique qui n’est pas forcément celle d’autres pays.

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